Mastering hors du studio. Trois experts en design sonore décryptent des nouvelles pratiques (2/5)

Rencontre avec Alexander Kassberg, responsable studio à Lexter Sound Design, Andrea Cera, compositeur et Nicolas Misdariis, chercheur responsable de l’équipe Perception et Design sonores de l’Ircam-STMS

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Pendant une séance de mixage/mastering in situ, quel type de transformations audio appliquez-vous à votre musique / vos sons ? Pensez-vous qu'une forme d'écoute dédiée soit nécessaire pour cette pratique ? Ce type d'opérations a-t-il modifié votre façon de travailler en général ?

A. C. / N. M. : Une opération importante est le filtrage, pour contrebalancer les déséquilibres des systèmes de diffusion finaux. Pendant le travail en studio, il est aussi très important de contrôler que la surface des sons à diffuser soit équilibrée, qu'il n'y ait pas d’émergences exagérées de fréquences individuelles. Il faut également contrôler les dynamiques. Nous avons collaboré à l’environnement sonore de l'exposition « D-Day » au Centre Pompidou. À cette occasion, nous avons pu observer comment Gérard Chiron utilisait compresseurs et limiteurs pour réduire les dynamiques de sons qui devaient être diffusés à très bas niveau.

C'est très stimulant d'écouter un son, que l’on connaît bien, dans son système de diffusion final : il faut se mettre dans la situation d'une personne qui n'a jamais entendu ce son, et chercher à comprendre quelle peut être sa perception de l'addition de ce son dans cet espace. Le son peut devenir une autre chose. Est-il encore efficace ? Que faut-il modifier ? Quelles composantes ont une résilience – et lesquelles se font masquer par le bruit environnant ? Pour cela, le travail collaboratif est essentiel : il faut partager l'écoute à plusieurs car, souvent, celui qui a créé les sons les connaît trop bien et les repère même dans des conditions difficiles.

De plus, pour éviter trop de différences entre le studio et les systèmes finaux, nous avons développé des configurations de travail spécifiques. Par exemple, on cherche à minimiser les temps de déplacement en virtualisant les acoustiques de diffusion finales par l'utilisation de réponses impulsionnelles qui permettent d'échantillonner et simuler la réponse acoustique d'un cockpit ou d'un tableau de bord. Pour des petits sons de tableau de bord, on travaille seulement au casque ou avec des très petits haut-parleurs. Pour des sons destinés à l'écoute en plein air, nous avons développé des outils de simulation d'environnement urbain. Et pour des applications spécifiquement automobiles, nous avons une collection de bruits de roulement enregistrés à l'intérieur de différentes voitures, afin de pouvoir recréer les bruits de fond qui vont constituer l’arrière-plan de nos solutions sonores associées à telles ou telles fonctions ou actions de conduite.

Design sonore réalisé pour l'habitable de la Renault Symbioz

A. K. : Les caractéristiques acoustiques d'un lieu (et les effets psychoacoustiques conséquents) peuvent affecter tous les aspects d'un contenu sonore. Le mixage et le mastering sont les composantes les plus affectées – par le biais des fréquences renforcées par les résonances des salles ou par les haut-parleurs – mais il y a aussi des conséquences sur des niveaux plus créatifs. Il faut se rappeler qu'on est en train de créer des expériences non linéaires pour un public qui n'est pas nécessairement en train d'écouter. Les sons que l'on crée sont-ils assez clairs et évidents pour porter le concept visé ? Un exemple simple : un client souhaite reproduire le son de l'océan dans son lieu. Mais le son des vagues est très proche du bruit blanc. Nous, producteurs du son, en studio, savons que ce son est un enregistrement d'océan, mais les auditeurs finaux l’interpréteront-ils en ce sens ? Ils pourraient le percevoir comme le produit d'un conduit d'air bruyant ou comme le bruit du trafic dans la rue. Nous faisons face au défi presque impossible d’« écouter notre production comme quelqu'un qui ne l'a jamais entendue, et qui n'est pas en train d'écouter activement ». Nous devons faire de notre mieux et sommes parfois amenés à reconsidérer certaines parties de nos productions. Dans le cas du son de l'océan, une écoute sur le terrain peut nous éclairer sur les modifications à apporter. Pour ma part, j’ai acquis suffisamment d’expérience et développé une grande acuité pour déceler ce qui fonctionne ou pas. Je n'ai plus besoin de retravailler mes productions aussi souvent que par le passé. Cependant, en cas de doute, je n’hésite pas à me rendre sur le terrain pour m’assurer du mix final.  

Entretien en trois volets, fin publiée à partir du 16 janvier 2019

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