Épistémologie et histoire de la musicologie

L'équipe Analyse des pratiques musicales a été initialement définie entre autres comme une équipe de recherches en sciences humaines sur la musique ; elle est donc vouée à réunir aussi bien des musicologues, historiens et ergonomes que des psychologues, ethnologues ou sociologues engagés dans l'étude de phénomènes musicaux. Cette diversité disciplinaire fait écho à l'hétérogénéité constitutive de la musicologie, définie, au moins depuis Riemann, comme l'ensemble, plus ou moins harmonieusement coordonné, des sous-branches de différentes disciplines scientifiques (au sens le plus large) qui prennent la musique pour objet.

Aussi menons-nous, parallèlement à notre travail de recherche empirique et technologique, une réflexion théorique et historique sur les relations entre musique, musicologie et sciences humaines. Cette réflexion porte, en droit, sur leur siècle et demi d'existence ; en fait, elle s'est concentrée essentiellement sur l'époque de la fondation institutionnelle de la musicologie (fin XIXe – début XXe s.), d'une part, et sur les problématiques contemporaines, d'autre part.

Les déplacements par rapport à la tradition musicologique impliqués par notre programme de recherche supposent une élaboration théorique adaptée, susceptible de contribuer à l’actuel renouveau méthodologique des études musicales, effectif depuis une vingtaine d’années dans les pays anglo-saxons comme en France. Cette élaboration s’effectue sur trois plans : un plan généalogique, un plan prospectif, un plan de référence.

Plan généalogique

Une collaboration avec Rémy Campos (Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris) et Frédéric Keck (Groupe de Sociologie Morale et Politique, CNRS) a permis une investigation critique approfondie dans le passé de la discipline musicologique, et en particulier dans le moment de son institutionnalisation (début du XXe s.). Nous avons montré que la musicologie s’était constituée non sur des méthodes mais autour de l’objet musique tel que les érudits de la fin du XIXe s. pouvaient l’aborder, c’est-à-dire par une approche philologique de la partition (d’où le graphocentrisme caractéristique de la musicologie au XXe s.), par l’expérience vécue du concert (importance des controverses esthétiques et de la question du jugement de valeur) et par les instruments (organologie déconnectée des usages, selon le modèle des collections instrumentales de particuliers puis de musées). Cela permet d’expliquer pourquoi la musicologie a manqué à cette époque, et pour longtemps, son alliance avec les sciences humaines naissantes, qui abordaient la question de la production sociale des pratiques et des valeurs à travers des notions telles que la participation. Ces thèses sont développées dans un numéro thématique de la Revue d’histoire des sciences humaines dirigé par R. Campos, N. Donin et F. Keck (Musique et sciences humaines : rendez-vous manqués ?, n° 14, 2006).

Plan prospectif

Un numéro thématique des Cahiers de médiologie a été codirigé par N. Donin et B. Stiegler. Il s’agissait, en dialogue avec la médiologie de Régis Debray et avec d’autres approches en partie comparables dans le champ musicologique (organologie d’André Schaeffner, sociologie musicale d’Antoine Hennion, travaux de François Delalande), de projeter dans l’avenir proche une généalogie des pratiques musicales spécifiques du XXe siècle, en tant qu’elles ont été affectées par des « révolutions industrielles de la musique » dont la dernière en date – l’hyperreproductibilité numérique – caractérise la situation présente.

Plan de référence

L’exploration des relations entre musicologie et sciences humaines suppose non seulement d’exhumer les "rendez-vous manqués" du début du XXe siècle et d’interroger la fécondité de nouveaux paradigmes, mais aussi de réévaluer la place de la musique au sein des corpus fondateurs des sciences humaines et sociales. Une collaboration entre Philippe Despoix, germaniste et philosophe (Université de Montréal), et N. Donin a permis de pratiquer cet exercice sur la Sociologie de la musique de Max Weber. Bien que cette œuvre inachevée soit une référence connue de la sociologie de l’art, l’esquisse de Max Weber est restée peu exploitée par les musicologues et par les sociologues, même depuis sa parution en langue anglaise puis française. Un atelier de relecture du texte de Weber (à l'Ircam les 24, 25 et 26 juin 2005) a réuni les meilleurs spécialistes de Weber et des questions musicales qu’il aborde, afin d’évaluer la force opératoire de sa notion de médium technique et de ses principales analyses. Par la suite, deux numéros thématiques de la Revue de Synthèse ont été tirés de ces journées : Portée de la sociologie musicale de Max Weber (avec la participation de Jean Molino, Emmanuel Pedler, Isabelle Kalinowski et Simha Arom) et Max Weber à l'épreuve d'un siècle d'histoire musicale (avec la participation de Philippe Despoix, Marie-Noël Colette, Leopoldo Waizbort et Nicolas Donin).

Équipe Ircam : Analyse des pratiques musicales

Date de début : 2003 / Date de fin : 2009

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