Décès de Joel CHADABE

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En souvenir de Joel Chadabe (1938-2021)

« In 1966, I got an idea. I drew up a plan for a completely automated synthesizer system, discussed its feasibility with Robert Moog, described it in an article in Perspectives of New Music, and got the funding to have it built[1]. »

C’est une des rares pages de Electric Sound: the Past and Promise of Electronic Music où Joel Chadabe parle de lui à la première personne. Joel était, avant tout, un infatigable inventeur de l’ombre qui se mettait rarement au premier plan. Il faut dire que les lignes citées se trouvent au début du chapitre « Interaction », et qu’il serait difficile de parler de musique interactive sans parler de Joel.

L’intuition la plus forte de Joel a sans doute été de saisir que les machines permettaient avant tout un développement des automates ; avant d’être une extension instrumentale, une interaction homme-machine porterait d’abord sur le guidage de processus compositionnels. Il savait qu’il faudrait longtemps avant que les machines puissent reproduire la corporéalité des instruments traditionnels ; par contre, rien ne pouvait égaler leurs capacités de mémoire et d’automation.

On retrouve d’ailleurs cette combinaison – que l’on pourrait nommer « automate interactif » – dans la plupart de ses compositions, y compris analogiques. De Blues Mix de 1966 à Many Times de 2001, Joel se fait à la fois l’interprète et le créateur d’une musique qui parfois lui échappe afin de vivre sa vie. Il appelait ce type d’interaction Sailing BoatNavigation, une sorte de processus écologique peut-être inspiré par Rainforest de David Tudor. La nature étant toujours la plus forte, pour aller d’un point à un autre, la route d’un bateau à voile est avant tout déterminée par les éléments.

Joel a beaucoup interagi avec l’Ircam. Un épisode reste assez mystérieux : avant d’être commercialisé par Opcode puis Cycling74, il a été question que Max soit commercialisé par Intelligent Music. Fondée par Joel, Intelligent Music avait sorti deux des premiers logiciels de musique interactive, M et Jam Factory ; et, d’ailleurs, c’est David Zicarelli que Joel avait recruté pour développer ces logiciels.

L’influence de Joel sur l’Ircam – et sur la musique électronique en général – n’avait en fait rien à voir avec le business, qui n’était pas son point fort, mais plutôt avec ses persepectives sur la musique. Avec David Wessel, il a sans cesse milité pour des systèmes informatiques de petite taille : je suis arrivé à Albany en 1977 alors qu’il composait Solo sur le New England Digital Synthesizer (numéro de série 1 du modèle 1). C’était un système portable, avec lequel on pouvait partir en tournée sans avoir besoin d’être accompagné par un cousin déménageur. À l’époque, c’était simplement incroyable !

Toute sa vie, Joel a tissé des liens dans le monde de la musique électronique, ce qu’il a institutionnalisé en fondant l’Electronic Music Foundation (EMF). Electric Sound, d’ailleurs, montre de nombreuses facettes de la pensée de Joel comme chercheur. Ce qui, au départ, aurait pu ressembler à une sorte d’exercice de journalisme (des centaines d’interviews d’acteurs de la musique électronique) devient une réflexion profonde sur les différents éléments, parfois techniques, parfois institutionnels, parfois personnels, qui ont modifié le domaine au siècle précédent. Parmi ses nombreux passages à l’Ircam, il fut un partenaire majeur du mythique « Sound and Music Computing 04 : Improvisation with Computer Workshop », qui inaugura durablement l’installation de cette thématique dans notre institut.

Joel était en quelque sorte mon oncle d’Amérique : c’est pourquoi j’ai beaucoup de mal à parler de lui. Après notre rencontre, il n’a pas hésité à m’inviter à travailler avec lui en 1977, alors que, étudiant dans une école d’ingénieurs, j’hésitais à me lancer dans la musique. C’est en lui chantant un air de Verdi que je l’avais définitivement convaincu que je pouvais (et devais) faire de la musique : il m’avait d’ailleurs accompagné, connaissant ce type de répertoire pour avoir, durant ses années de boursier en Italie, arrondi ses fins de mois en servant de chef de chant à des chanteurs.

Joel était aussi un grand pédagogue, qui a laissé sa trace à l’Université SUNY à Albany, à Bennington College et à NYU. Je sais qu’il laisse dans le monde bien d’autres neveux, orphelins eux aussi de sa générosité.

Georges Bloch

[1] « En 1966, j’ai eu l’idée de concevoir un système de synthèse sonore complètement automatisé ; après avoir discuté de sa faisabilité avec Robert Moog, j’ai publié un article décrivant ce projet dans Perspectives of New Music, puis j’ai trouvé l’argent pour le réaliser. »

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