Écoutes signées

Ce projet, essentiellement réalisé entre 2003 et 2006, consistait à enquêter sur des pratiques d’écoute singulières et à rendre ces dernières partiellement transmissibles à d’autres auditeurs. Des collaborations avec plusieurs musiciens ont permis d’expliciter des manières d’écouter qui leur étaient propres, puis de concevoir avec eux des prototypes d’interfaces informatiques permettant d’« écouter comme eux ».

Principes

L'investigation porte sur des manières d’écouter singulières, situées techniquement, dynamiques, et pouvant donner lieu à explicitation. On s’intéresse donc à la façon dont tel musicien écoute tel ou tel répertoire, dont tel mélomane écoute telle ou telle version discographique d’une œuvre, dont tel musicologue écoute telle partition qu’il analyse, etc. Cette écoute sera dite « signée » au sens où l’auditeur est en quelque sorte auteur de son écoute : il peut revendiquer comme sienne la façon dont il articule un corpus écouté, une situation d’écoute, des instruments et procédures (plus ou moins stables) d’appréhension musicale, enfin une trajectoire individuelle d’auditeur. De cette singularité, il s’agira pourtant de rendre accessible certains aspects par l’intermédiaire d’animations interactives visant à renouveler et enrichir l’écoute de celui qui les consultera.

L’explicitation peut se faire de façons variées, comme en témoignent le déroulement des projets listés ci-dessous. Ce peut être par des réunions de travail avec les écouteurs ainsi qualifiés, par des réunions de ce genre en relation avec des études empiriques de l’activité de composition, de l’activité d’interprétation ou d’activités d’écoute attentive de toutes sortes, etc. Le travail initial et informel d’explicitation prend forme à travers le processus de maquettage multimédia, qui apporte à la fois des limitations et des possibles technologiques : il s’agit alors, soit de reproduire une opération, une manipulation, une représentation propre à la pratique d’écoute considérée ; soit de concevoir un outil qui puisse s’insérer écologiquement, comme un élément (informatique) parmi d’autres (non informatiques), dans cette pratique d’écoute.

Réalisations

Les principales « écoutes signées » réalisées entre 2003 et 2006 :

Les maquettes peuvent être non fonctionnelles (simple représentation), partiellement fonctionnelles, ou entièrement fonctionnelles (mais non nécessairement génériques). Au terme de ce processus, il est possible d’évaluer quelles opérations musicales y sont principalement en jeu et, éventuellement, si elles sont communes à d’autres pratiques d’écoute repérées. Les points communs n’apparaissent qu’à un certain degré d’abstraction dans la mesure où sont le plus souvent considérées des pratiques instrumentées et situées, saisies sous un angle donné et à un moment donné. Les conclusions dégagées de l’analyse rétrospective d’une ou plusieurs maquettes permettent non seulement d’en tirer des connaissances sur les pratiques d’écoute et d’analyse de la musique, mais aussi de faire évoluer techniquement les dispositifs ainsi imaginés vers un prototype d’outil d’aide à l’écoute ou à l’analyse musicale, et/ou un guide d’écoute suivant tel point de vue d’un auditeur qualifié. Dans le premier cas, cela signifie la reprise de ce travail par d’autres ou en collaboration avec d’autres (dans le cadre de projets tels que Musique Lab ou SemanticHifi) ; dans le deuxième cas, cela signifie une finalisation et lorsque cela est possible, une publication hypermédia en ligne et/ou sur support. Cette dernière piste a été suivie dans le cadre du projet Voi(rex) / Apocalypsis et du projet Parcours interactifs.

Trois projets issus des « écoutes signées » se sont développés de façon autonome entre 2005 et 2008 :

Esquisses

Plusieurs maquettes devant contribuer au projet Écoutes signées sont restés inachevées ou n'ont pas été largement développées pour diverses raisons (limitations technologiques ou priorité mise sur d'autres projets). Elles sont mentionnées ici dans la mesure où ces recherches présentent un intérêt au moins documentaire à l'égard de la démarche d'ensemble.

Annotation en cours d'écoute

L'une des premières maquettes réalisées portait sur l'annotation en cours d'écoute, idée qui semble s'imposer si l'on veut réaliser des outils d'aide à l'exploration auditive qui 'collent' à l'activité d'écoute.

La maquette permet de marquer, nommer et commenter sur une timeline des instants (barres verticales) et des plages temporelles (barres colorées), au fur et à mesure de l'écoute, par l'intermédiaire du clavier de l'ordinateur (barre espace pour marquer, etc.). Au cours d'une écoute donnée, il est difficile de mettre à la suite sur une même ligne des annotations portant sur des phénomènes aussi divers que l'attention auditive est plurielle ; aussi peut-on ajouter à volonté des couches supplémentaires d'annotation via le pavé numérique du clavier. On en vient donc à réunir des phénomènes sur différentes lignes qui constituent autant de catégories musicales plus ou moins usuelles, plus ou moins implicites :

L'intérêt d'un tel outil s'avère très relatif à l'échelle d'une seule passe – tout va trop vite pour noter correctement et au bon endroit les différents phénomènes qui se manifestent dans l'écoute. En revanche, la multiplication des passes, partant ou non de la sauvegarde de la session précédente, permet à volonté d'enrichir, modifier, contredire les traces des écoutes passées : l'archive du discernement auditif devient son terreau. De là, on peut tirer de véritables 'fragments otobiographiques' qui sont autant de guides d'écoute adressés à autrui – autrui pouvant d'ailleurs, s'il possède l'outil et le fichier son, recevoir ces conseils d'amis par une simple pièce jointe (un fichier Xml d'annotations) dans un e-mail.

Notation pré-analytique de partitions de Xenakis par Makis Solomos

Plusieurs articles de Makis Solomos (musicologue, Université de Montpellier-III) sur les œuvres de Iannis Xenakis proposent des exemples musicaux à mi-chemin entre la notation de la partition commentée et une récriture analytique : il s'agit plutôt d'un changement de repère, grâce auquel les mêmes informations apparaissent sous un jour différent, mettant en valeur certaines propriétés peu visibles dans l'original, et en amoindrissant d'autres. Souvent, il s'agit d'une récriture sur papier réglé (évoquant le papier millimétré souvent utilisé par le compositeur avant la rédaction définitive de la partition) dans laquelle les notes isolées sont figurées par des points et les glissandi par des traits – le temps étant en abscisse et les hauteurs en ordonnées.

Si ces représentations donnent une intelligibilité 'pré-analytique' aux extraits musicaux sélectionnés par Solomos, il ne permettent pas en revanche de comprendre dans quel champ de possibles la "sonorité xenakienne" analysée avait été déterminée par le compositeur. Pour cela, il faudrait pouvoir changer certains paramètres et modifier les traits et les points (en ajouter, en retrancher, etc.), puis rebasculer dans la notation de la partition et écouter le résultat.

Nous avons réalisé une maquette permettant de dessiner des traits et des points dans une espace analogue à celui des exemples analytiques de Solomos. Elle permet de recréer ce type d'exemples et de les modifier visuellement. Le fait d'utiliser des données MIDI riches pourrait permettre de partir d'une partition en compréhension, de la représenter à l'intérieur de l'espace pré-analytique défini par l'usager et enfin d'écouter le résultat en le modifiant à volonté.

La poursuite de ce projet aurait demandé une analyse plus approfondie des travaux de M. Solomos en collaboration avec lui, et aurait supposé de se baser sur le logiciel développé par La kitchen à partir de l'Upic, Iannix.

Marc Chemillier/Harpistes Nzakara

Des maquettes ont été réalisées sous la prescription de Marc Chemillier, informaticien et ethnomusicologue (Université de Caen, délagation CNRS à l'Ircam), à partir de ses recherches sur la musique des NZakara. Une tablature animée lui a permis de mettre en évidence la structuration canonique du répertoire de harpe de cette ethnie ; l'une des formes de publication de ce résultat a été une animation multimédia publiée sur le site du Laboratoire d'ethnomusicologie du Musée de l'Homme.

En repartant de ce travail, et en vue de l'élargir au reste du corpus d'enregistrements de harpe, le maquettage a permis de réaliser un outil plus générique pour réaliser des transcriptions canoniques animées.

Références des publications et interventions

Compte rendus du projet

Nicolas Donin, Samuel Goldszmidt et Jacques Theureau, « Instrumenter les opérations d'écoute analytique ? Un bilan du projet 'Ecoutes signées' (2003-2006) », Actes des 15e Journées d’informatique musicale, Université Rennes 2, 18-20 mai 2010 [JIM 2010], p. 165-174.

Jacques Theureau et Samuel Goldszmidt, « Explicitation d’écoutes singulières, analyse des activités d’écoute musicale et conception de situations d’écoute musicale enrichies », Moustapha Zouinar, Gérard Valléry et Marie-Christine Le Port (éds.), XXXXIIe congrès de la SELF, Ergonomie des produits et des services, Toulouse, Octares, 2007, pp. 79-89.

Nicolas Donin et Samuel Goldszmidt, « Annoter la musique : de la segmentation de fichiers audio à la publication d’articles multimédia », Annexes des actes d’IHM 2007 [19ème Conférence de l’Association Francophone d’Interaction Homme-Machine (Paris, France, 13-15 novembre 2007)], p. 53-56.

Nicolas Donin, « Pour une «écoute informée» de la musique contemporaine : quelques travaux récents », Circuit. Musiques contemporaines, vol. 16, n° 3, 2006, p. 51-64.

Nicolas Donin, « Towards Organised Listening: Some Aspects of the ‘Signed Listening’ Project, Ircam », Organised Sound, n° 9(1), 2004, p. 99-108.
[Version française : « Manières d’écouter des sons. Quelques aspects du projet Ecoutes signées (Ircam) », DEMeter, 2004]

Discussion du projet Ecoutes signées

Vincent Tiffon, « La représentation sonagraphique est-elle une aide pour l’analyse perceptive de la musique électroacoustique ? », Lien, Revue d’esthétique musicale, 2006 : L’analyse perceptive des musiques électroacoustiques, p. 3-15.

Leigh Landy, Understanding the Art of Sound Organization, Cambridge, MIT Press, 2007, p. 202.

Guillaume Denis, Jeux vidéo, enjeux éducatifs. Une application à l'enseignement de la musique jazz, Paris : Presses de l'École des Mines, 2008.

Mise en relation avec d'autres réflexions sur l'écoute musicale

Nicolas Donin, « Comment manipuler nos oreilles », Cahiers de médiologie, n° 18, 2004, p. 219-228.

Circuit. Musiques contemporaines, vol. 14, n° 1 : Qui écoute ? 2 (Nicolas Donin, éd), 2004.

Circuit. Musiques contemporaines, vol. 13, n° 2 : Qui écoute ? 1 (Nicolas Donin et Jonathan Goldman, éds), 2003.

Équipe Ircam : Analyse des pratiques musicales

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